A Reflection on culture & Confinement

Journal de bord d’une zoomeuse convertie

Postition:

Lecturer in European Languages (French)

University:

Monash University

Direct de Melbourne, ville détentrice du record peu enviable du plus long confinement. Près 5 millions de personnes confinées pendant 296 jours au total, soit près de 9 mois, décrétés lors de 6 confinements distincts depuis le mois de mars 2020. Le traumatisme demeure encore vif. Il n’est pas sûr qu’on n’y retournera pas. Mais quoi qu’il arrive, Zoom sera de la partie et je n’ai pas honte de dire que cela me rassure.

Janvier 2020 : Tout bascule. On parle d’un virus. Il se propage vite mais ce n’est pas grave. Non, pas besoin de masques. On est en Australie ! Il n’arrivera jamais jusqu’ici.

Février 2020 : Tu as un zoob ? Zoof ? Zoo…Oui c’est bien ça, je crois. Un zoom. Tu sais où je peux en avoir un ? C’est quoi au fait ? Comme Skype tu dis ? Bon, je vais me débrouiller. Je suis jeune. Les technologies, ça me parle !

Mars 2020 : Il faudra tout passer sur Zoom ? Plus aucun cours sur le campus ? Et les tests, les examens ? Tout sur ordinateur ? Et les tricheries ? Comment va-t-on faire ?

Avril 2020 : Je découvre le mot « confinement » lors du premier décrété. En français, il m’agace. Trop doux. Je lui préfère le mot en anglais « lockdown ». Il traduit beaucoup mieux la brutalité de la chose. Terme militaire, net, honnête. « Confinement » me rappelle « confiserie » ou « confiture ». Il est trompeur et je lui en veux de l’être.

Mai 2020 : Je suis plongée dans un univers jusqu’alors inconnu, un territoire que j’imaginais peuplé de pro gamers équipés du nécessaire – au moins deux écrans (un seul ne fait pas sérieux), casque sans fil (les fils font amateur) et chaise de bureau style Darth Vader (pour ajouter du sérieux). Donc je me procure le nécessaire – le deuxième écran et le casque. Je délaisse le trône, faute de place dans mon minuscule appartement où le bureau est également salon et cuisine. Je ne me sers pas du deuxième écran qui ne fait que me regarder péniblement pour me rappeler sa présence non rentabilisée.

Avril 2020 : Les fameuses salles de discussion dans lesquelles la discussion peut se fait rare. Après avoir créé les salles, je fais le tour pour vérifier la présence des étudiants et, surtout, m’assurer qu’ils s’attaquent à la tâche à accomplir. Certains n’ont pas encore rejoint leurs salles respectives. Je les interpelle. Silence assourdissant. Et devant mes yeux, le ballet incessant des autres, que je suis incapable d’interrompre, qui changent de salle en un clic pour rejoindre leurs amis dans d’autres comme dans une résidence universitaire. Note mentale : revoir les paramètres avant le prochain cours.

Septembre 2020 : Le bouton muet. Cela fait six moins que je suis sur Zoom et je n’y arrive toujours pas. Je me lance, prends de l’élan, me dis « tiens, ils ont l’air de bien comprendre. Ils ne posent aucune question ». Je me félicite de mon efficacité, de la clarté de mes explications jusqu’à ce que le chat – la conversation instantanée et non pas le félin (qui figure ci-dessous) – me renvoie cruellement ma négligence en quatre mots tranchants : « votre micro est désactivé ». Retour à la case départ. Pas de pause-café aujourd’hui.

Décembre 2020 – janvier 2021 : Petit répit pour les vacances d’été. On souffle et on déconnecte.

Mars 2021 : L’heure de la pause après quoi j’espère retrouver au moins la moitié de mes élèves arrive. Je les invite à s’éloigner pendant quelques minutes. Ils ne se font pas prier. Les têtes disparaissent quasi immédiatement. Il ne reste que quelques carrés noirs. Je me retiens de me lever rapidement. C’est le moment où il faut être stratège, ne pas se presser, car on ne sait pas (ce) qui se cache derrière ces carrés déconcertants, dans l’abîme. Je marche en crabe jusqu’à la porte, les genoux bien pliés. Note mentale : bien prendre le temps de délimiter le champ de vision des étudiants, sonder tous les angles de la webcam, pour éviter la honte vestimentaire. C’est que j’ai bien pris l’habitude de m’habiller à moitié – le haut reste correct mais le bas laisse à désirer. Je ne veux surtout pas que mes étudiants sachent que j’enfile depuis trois jours le même survêtement usé. Et s’ils voyaient mes chaussons Le Roi Lion aux pieds ? Je ne suis pas prête à assumer cela devant eux.

Avril 2021 : Un de mes chats se balade dernière moi sur l’étrangère. Avec mon casque, je ne l’entends pas. Il sait pertinemment bien qu’il n’a pas le droit de monter là-haut. Une étudiante m’interrompt en activant son micro :

– « Madame, votre chat, il a le droit de déterrer les plantes ? »

– « Non mais (voix extérieure) je ne peux pas me lever pour l’en empêcher (voix intérieure) ».

On verrait mon jogging. J’entends la terre se déverser sur le parquet. La plante et la réprimande attendront la prochaine pause. Le balai aussi. Où est l’autre chat ? Ils ne sont jamais très loin l’un de l’autre… Le voilà. J’entends le tintement de sa petite cloche. Il revient de la salle de bain où il s’est amusé à vider le panier à linge sale de son contenu. Il me ramène dans sa gueule ses trouvailles préférées qu’il aime exhiber à l’attention de tous en se pavanant devant l’écran de l’ordinateur. Je commence à rêver d’une crèche pour félins qui viendrait en aide à des gens comme moi – des amoureux de chats pourris gâtés et sans manières (et qui adorent se mettre en spectacle devant un public).

Juillet 2021 : Nouvelle maison, nouveau poste, nouvelle fac, nouveaux cours, nouveaux étudiants, même Zoom. Il est devenu de loin l’aspect le plus stable de ma vie.

Août 2021 : C’est mon anniversaire et j’ai cours. C’est le deuxième que je passe en confinement. Mes étudiants entament un « joyeux anniversaire » en chœur. Ils ont dû prévoir leur coup. J’essaye de cacher mon émotion.

Le 22 septembre 2021 : On fait un exercice sur les pronoms COD/COI.

– « Pourquoi dit-on téléphoner à quelqu’un en français mais to telephone someone en anglais ?

– « Excellente question ».

Les 26 paires d’yeux me fixent en attendant mon explication. Soudain, les yeux s’écarquillent et disparaissent en bas de l’écran. Tout tremble. Mon compagnon sort précipitamment de la douche.

– « Tu déplaces les meubles ? »

– « Mais non, je ne déplace pas les meubles. Je fais cours ! »

Un séisme de magnitude 5,9 vient de secouer la ville. Mes étudiants se sont réfugiés sous leurs bureaux. Il leur faut un moment pour sortir de leurs cachettes.

Octobre 2021 : Fin du semestre. La tension est palpable. C’est le jour du passage des oraux. J’accueille mes élèves individuellement selon un planning strictement établi au préalable. Les retardataires seront renvoyés et devront faire la demande pour pouvoir repasser devant un examinateur. Les sujets sont tout aussi sérieux : on parle de la politisation de la religion musulmane en France, de la montée du néo-républicanisme et du racisme qui peut l’accompagner. Atmosphère sombre et réfléchie. J’invite l’étudiant à débuter sa présentation et me mets à chronométrer. Il s’active lentement, la voix tremblante et des perles de sueur sur le front (que j’arrive à détecter sur Zoom). Aussitôt je saute sur le bouton muet et espère avoir appuyé dessus à temps. Mon compagnon, bloqué à la maison depuis le début du confinement, s’exclame au plus fort dans la pièce d’à côté : « Tu fais quoi là ? T’appelles ça jouer ? T’es qu’une grosse blague. C’est ta mère qui devrait faire à ta place, elle n’aurait aucun mal à te le foutre dans le %@&$ ce foutu ballon ». « C’est un match de foot hyper important » m’avait-il dit la veille quand je lui ai rappelé le passage de mes étudiants. « Pas de souci » m’avait-il répondu. « Je te promets, je ne ferai pas de bruit ». L’étudiant termine sa présentation. Il a bien réussi, et je le lui fais savoir. Malgré sa réussite, il paraît perplexe. Je lui demande s’il va bien et s’il n’a pas été perturbé par le vacarme de mes « voisins ». Non, répond-il, mais il voudrait de son côté regarder le reste du match qui met le voisin dans un tel état. Ça doit être exaltant. Et, une dernière question avant de partir, « que veut dire le mot %@&$ en anglais » ?

Dans un esprit de partage, j’offre à toutes les personnes enseignant sur Zoom ces petites bribes de ce qu’a été mon expérience pendant ces deux dernières années de cours en ligne. Une expérience frustrante mais ô combien instructive, et cela bien au-delà des évidents apprentissages technologiques. En espérant que vous pourrez vous retrouver dans ces réflexions et vous émerveiller de vos propres apprentissages et de tous ceux qui restent à venir.

Postition:

Lecturer in European Languages (French)

University:

Monash University

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